CHAPITRE 26
J’ai repris connaissance en pleine tronche, comme la griffe d’un combattant monstrueux.
J’ai grimacé sous l’impact, et roulé sur moi-même dans la couchette, essayant de retrouver le sommeil en rampant, mais le mouvement a amené avec lui une déferlante de nausée. J’ai stoppé le haut-le-cœur sur place par un effort de volonté, et me suis soulevé sur un coude, en clignant des yeux. La lumière faisait une percée floue dans l’ombre au-dessus de ma tête, par un hublot que je n’avais pas remarqué la nuit précédente. De l’autre côté de la cabine, le terminal tissait sa spirale infinie, de l’émanateur du bureau aux données système, écrasées en haut à gauche de l’affichage, près de l’étagère. Des voix me parvenaient depuis l’autre côté de la paroi.
Vérifiez la fonctionnalité. J’ai entendu les conseils de Virginia Vidaura, apprises dans les modules d’entraînement diplo. Ce n’est pas la blessure qui vous intéresse, ce sont les dégâts. La douleur, soit vous l’utilisez, soit vous l’écartez. Les blessures ne comptent que si elles provoquent une gêne structurelle. Ne vous inquiétez pas pour le sang. Ce n’est pas le vôtre. Vous avez enfilé cette chair il y a quelques jours, et vous allez l’enlever très vite si vous parvenez à ne pas vous faire tuer avant. Ne vous occupez pas des blessures ; vérifiez votre fonctionnalité.
Ma tête… on aurait dit que quelqu’un la sciait en deux depuis l’intérieur. Des vagues de sueur fiévreuse me traversaient, apparemment depuis un point à l’arrière de mon crâne. Le fond de mon estomac s’était replié et logé à l’arrière de ma gorge. Mes poumons me faisaient mal, d’une façon obscure et nébuleuse. J’avais l’impression qu’on m’avait tiré dessus avec le sonneur dans ma poche de veste. Avec un rayon pas particulièrement faible.
Fonctionnalité !
Merci Virginia.
Difficile de dire ce qui était causé par la gueule de bois et ce qui provenait de ma mort. Difficile de s’en soucier. Je me suis hissé en position assise avec prudence, au bord de la couchette, et j’ai remarqué, pour la première fois, que je m’étais endormi plus ou moins tout habillé. J’ai fouillé dans mes poches, trouvé le pistolet médical de terrain et les capsules antiradiations. J’ai soupesé les tubes de plastique transparent d’une main en y réfléchissant. Le choc de l’injection me ferait sans doute vomir.
Une exploration plus complète de mes poches m’a permis de trouver un tube d’analgésiques militaires. J’ai pris une dose entre le pouce et l’index, et je l’ai regardé un moment. J’en ai ajouté une autre. Mes réflexes conditionnés ont pris le contrôle pendant que je vérifiais le canon du pistolet médical, que je l’ouvrais et que je logeais les deux capsules de cristaux en enfilade. J’ai refermé la glissière, et le pistolet a émis un gémissement de plus en plus aigu à mesure que le champ magnétique se chargeait.
Ma tête me lançait. Une sensation éreintante, douce et dure, qui me faisait, je ne sais pas pourquoi, penser aux parcelles de données qui flottaient dans le coin de la spirale à l’autre bout de la pièce.
La lumière de charge a viré au rouge sur le pistolet. Dans le logement, dans les capsules, les cristaux au format militaire étaient alignés, la pointe acérée tournée vers le canon comme des millions de dagues attendant leur heure. J’ai calé le canon contre la saignée de mon coude et j’ai pressé la détente.
Le soulagement a été instantané. Un rush rouge m’a traversé la tête, balayant la douleur en traînées rose et gris. Matériel Impacteur. Ce qui se fait de mieux pour les loups de Carrera. J’ai souri, shooté par la montée d’endorphines, et j’ai attrapé les capsules antiradiations.
Putain Virginia, si tu savais ce que je me sens fonctionnel, là…
J’ai vidé les capsules déchirées des analgésiques. Rechargé avec l’antirad, et refermé la glissière.
Regarde-toi, Kovacs. Un ensemble de cellules mourantes, en pleine désintégration, rafistolé avec du fil chimique.
Ça ne ressemblait pas à du Virginia Vidaura. Peut-être Sémétaire qui sortait enfin de sa retraite. J’ai chassé son commentaire à l’arrière de mon esprit et me suis concentré sur la fonction.
Vous avez enfilé cette chair il y a quelques jours, et vous allez l’enlever très vite…
Ouais, ouais.
J’ai attendu le gémissement magnétique. Le clin d’œil rouge.
Appuyé.
Mais alors fonctionnel à un point…
Une fois mes vêtements arrangés dans un ordre à peu près présentable, j’ai suivi les voix jusqu’au réfectoire. Toute la fête était là, à l’exception notable de Schneider, et le petit déjeuner était en cours. J’ai eu droit à quelques applaudissements brefs en arrivant. Cruickshank a souri, a cogné sa hanche contre la mienne et m’a tendu un mug de café. À voir ses pupilles, je n’étais pas le seul à taper dans le sac à médicaments militaires.
— À quelle heure vous vous êtes mis en route ?
— Il y a environ une heure, a répondu Ole Hansen en consultant son affichage rétinien. Luc s’est proposé de cuisiner. Je suis reparti chercher de quoi au campement.
— Et Schneider ?
Hansen a haussé les épaules et pris une bouchée de nourriture.
— Il est parti avec moi, mais il a préféré rester sur place. Pourquoi ?
— Comme ça.
— Tiens, a dit Deprez en faisant glisser devant moi une assiette avec une grosse omelette. Refais le plein.
J’ai essayé de prendre quelques bouchées, mais sans ranimer mon enthousiasme. Je ne ressentais aucune douleur précise, mais il y avait une instabilité malade dans mon insensibilité. Et je la savais installée au niveau cellulaire. Cela faisait quelques jours que je manquais d’appétit, et c’était de plus en plus difficile de garder ce que je mangeais le matin. J’ai découpé l’omelette et fait ce que j’ai pu, mais au final j’ai presque tout laissé.
Deprez a fait semblant de ne rien remarquer, mais je voyais que ça lui faisait de la peine.
— Quelqu’un a vu si nos petits amis sont toujours en feu ?
— Il y a de la fumée, a répondu Hansen, mais pas beaucoup. Tu ne finis pas ?
J’ai secoué la tête.
— Fais passer. (Il a pris mon assiette et l’a vidée dans la sienne.) Tu as vraiment dû abuser de l’herbe locale, hier soir.
— Je suis en train de crever, Ole, ai-je rappelé avec humeur.
— Ouais, c’est peut-être ça. Ou la pipe. Mon père m’a dit une fois : « Ne mélange jamais l’alcool et la fumette. Ça te flingue la tête. »
Un communicateur a sonné à l’autre bout de la table. L’inducteur de quelqu’un était resté connecté. Hansen a grogné, attrapé l’appareil de sa main libre et l’a levé à son oreille.
— Hansen. Ouais. (Il a écouté.) D’accord. Cinq minutes. (Il a encore écouté, et un sourire est apparu sur son visage.) D’accord. Je leur dis. Dix minutes.
Il a laissé le communicateur retomber au milieu des assiettes en faisant la grimace.
— Sutjiadi ?
— Dans le mille. Il va faire une reconnaissance aérienne sur les nanocolonies. Ah oui… (Son sourire est revenu.) Le chef a dit de ne plus éteindre les inducteurs, sinon il fait un rapport disciplinaire.
— Texto ? a demandé Deprez en gloussant.
— Non. Je paraphrase, a répondu Hansen en lâchant sa fourchette dans l’assiette et en se relevant. Il n’a pas dit rapport disciplinaire, il a dit RP9.
Dans des circonstances idéales, avoir le commandement d’un petit groupe pareil est toujours un calvaire. Quand votre équipe est entièrement composée de prima donna spec ops hypermortels, tous morts au moins une fois, ça doit être un cauchemar.
Sutjiadi s’en tirait bien.
Il nous a regardés d’un air impassible tandis que nous nous asseyions dans la salle de briefing. La plaquette mémoire de chaque chaise avait été garnie d’analgésiques à croquer. Quelqu’un a poussé un glapissement de joie par-dessus le murmure général en voyant le médicament, puis s’est calmé quand Sutjiadi a regardé dans sa direction. Quand il a pris la parole, sa voix aurait pu appartenir à un mandroïde de restaurant conseillant un vin particulier.
— Si quelqu’un a encore la gueule de bois, il a intérêt à faire face maintenant. L’une des sentinelles du cercle extérieur est HS. Aucune indication de la cause.
Ça a produit la réaction désirée. Le murmure de conversation est mort. J’ai senti retomber mon trip à l’endorphine.
— Cruickshank et Hansen, vous prenez une des motos et vous partez en reconnaissance. Au premier signe d’activité, n’importe quelle activité, vous faites demi-tour et vous revenez tout droit ici. Autrement, vous récupérez les débris sur site et vous les rapportez pour analyse. Vongsavath, je veux que la Nagini soit parée au décollage en permanence. Tous les autres, armez-vous et restez où je pourrai vous trouver. Et portez vos inducteurs tout le temps. (Il s’est tourné vers Tanya Wardani, vautrée dans une chaise à l’arrière de la salle, blottie dans son manteau et sa morosité.) Maîtresse Wardani. Vous avez une estimation du temps qu’il vous faudra ?
— Peut-être demain. (Rien n’indiquait qu’elle le regardait derrière ses lentilles.) Avec un peu de chance.
Quelqu’un a reniflé. Sutjiadi n’a pas pris la peine de regarder qui.
— Je n’ai pas à vous rappeler, maîtresse Wardani, que nous sommes menacés.
— Non, en effet. Je serai dans la caverne.
Elle s’est dépliée et a flotté vers la sortie. La réunion s’est achevée avec son départ.
Hansen et Cruickshank sont partis moins d’une demi-heure. Le spécialiste en démolition est directement allé voir Sutjiadi.
— Rien. Pas de débris, pas de traces de brûlure, aucun signe de dégâts mécaniques. Rien. En fait, a-t-il dit en regardant par-dessus son épaule la direction d’où ils revenaient, rien qui indique qu’il y avait récemment une machine là-bas.
La tension dans le camp a monté d’un cran. La plupart des agents, fidèles à leur vocation individuelle, se sont retirés dans un silence nerveux et un examen semi-obsessionnel de leurs armes préférées. Hansen a déballé les grenades corrosives et examiné les déclencheurs. Cruickshank a démonté les systèmes d’artillerie mobile. Sutjiadi et Vongsavath ont disparu dans le cockpit de la Nagini, suivis par Schneider après une brève hésitation. Luc Deprez s’est sérieusement entraîné avec Jiang Jianping près de la mer, et Hand s’est retiré dans son préfa, sans doute pour brûler un peu plus d’encens.
J’ai passé le reste de la matinée assis sur un rocher au-dessus de la plage avec Sun Liping, espérant que les résidus de la nuit précédente finiraient par sortir de mon système avant les analgésiques. Le ciel nous annonçait un temps plus clément. Le gris implacable de la veille s’était déchiré sur des récifs bleus arrivés de l’ouest. À l’est, la fumée de Sauberville filait en biais avec la couverture nuageuse repoussée. Une vague conscience de la gueule de bois qui m’attendait derrière le rideau des endorphines donnait à l’ensemble un ton bien trop cotonneux.
La fumée des nanocolonies annoncée par Hansen avait disparu. Quand j’en ai parlé à Sun, elle s’est contentée de hausser les épaules. Apparemment, je n’étais pas le seul à me sentir trop mou.
— Tout ça t’inquiète un peu ? lui ai-je demandé.
— Cette situation ? (Elle a paru y réfléchir.) Je pense que j’ai connu plus dangereux.
— Bien sûr. Tu y es morte.
— Euh, oui. Mais je ne parlais pas de ça. Les nanosystèmes sont embêtants, mais même si les peurs de Matthias Hand sont fondées, je ne les vois pas évoluer si vite en un truc capable de descendre la Nagini.
J’ai repensé aux canons-sauterelles que Hand avait mentionnés. Cela faisait partie des nombreux détails dont il avait préféré ne pas faire part à l’équipe quand il avait révélé la présence du système N-REPO.
— Ta famille sait ce que tu fais pour vivre ?
— Oui, bien sûr, a-t-elle répondu d’un air surpris. C’est mon père qui m’a conseillé l’armée. C’était une bonne façon de faire payer mon entraînement aux systèmes. Ils ont toujours de l’argent, m’avait-il dit. Décide de ce que tu veux faire, et ensuite arrange-toi pour que ce soit eux qui le paient. Bien sûr, je n’avais jamais pensé qu’il y aurait une guerre. Qui l’aurait cru, il y a vingt ans ?
— Ouais…
— Et les tiens ?
— Mes quoi ? Mon père ? Je ne sais pas, je ne l’ai pas vu depuis mes huit ans. Ça fait près de quarante ans, en temps subjectif. Plus de cent cinquante, en objectif.
— Je regrette.
— Surtout pas. Ma vie s’est follement améliorée quand il est parti.
— Tu ne crois pas qu’il serait fier de toi, maintenant ?
J’ai ri.
— Oh si, c’est certain. Il a toujours aimé la violence. Abonné à chaque saison de combats. Bien sûr, il n’avait aucun entraînement, donc il devait toujours se défouler sur des femmes et des enfants. (Je me suis raclé la gorge.) Mais oui. Il serait fier de ce que j’ai fait de ma vie.
Sun a gardé le silence un moment.
— Et ta mère ?
J’ai détourné le regard, pour essayer de me souvenir. Le problème du souvenir total des Diplos, c’est que les souvenirs avant le conditionnement paraissent souvent flous et incomplets, par comparaison. On s’en éloigne de plus en plus vite, comme un décollage, un lancement. À l’époque, ça me faisait très envie. Maintenant, je doutais. Je n’arrivais pas à me souvenir.
— Je pense qu’elle était contente quand je me suis engagé, ai-je dit avec lenteur. Quand je suis rentré chez moi avec l’uniforme, elle a fait une cérémonie du thé pour moi. Elle avait invité toute la rue. Elle devait être fière. Et l’argent tombait vraiment à pic. Nous étions trois à nourrir – moi et deux petites sœurs. Elle a fait ce qu’elle pouvait quand mon père est parti, mais nous étions toujours sans le sou. Quand j’ai fini la formation de base, notre revenu a dû tripler. Sur Harlan, le Protectorat paie plutôt bien ses soldats – il faut qu’il lutte contre les yakuza et les quellistes.
— Elle sait que tu es ici ?
J’ai secoué la tête.
— Je suis parti trop souvent. Dans les Diplos, on vous déploie partout sauf dans votre monde natal. Il y a moins de risques que vous développiez une empathie gênante pour ceux que vous devez tuer.
— Oui, a dit Sun. Précaution standard. Ça se comprend. Mais tu n’es plus Diplo. Tu n’es pas rentré chez toi ?
J’ai souri sans joie.
— Si, comme criminel professionnel. Quand on quitte les Diplos, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Et à l’époque, ma mère était remariée, à un officier de recrutement du Protectorat. Une réunion de famille semblait… disons, déplacée.
Sun n’a rien dit. Elle paraissait regarder la plage, en attendant quelque chose.
— C’est calme, ici, n’est-ce pas ? ai-je dit pour combler le silence.
— À un certain niveau de perception. Pas, bien sûr, au niveau cellulaire. On livre une bataille enragée, que nous sommes en train de perdre.
— Vas-y, remonte-moi le moral.
Un sourire a flotté jusqu’à ses lèvres.
— Désolée. Mais c’est difficile de penser en termes de paix, quand on a une ville assassinée d’un côté, la force retenue d’un hyperportail de l’autre, une armée de nanobestioles qui se rapproche, et l’air saturé d’une dose mortelle de radiations.
— C’est sûr, présenté comme ça…
— C’est ma formation, Kovacs, a-t-elle répondu avec un sourire. Je passe mon temps à interagir avec des machines à un niveau que mes sens normaux ne peuvent pas percevoir. Quand on fait ça, on commence à voir la tempête derrière le calme en toute chose. Regarde par ici. Tu vois un océan calme, la lumière du soleil qui tombe sur une mer étale. C’est pacifique, oui. Mais sous la surface, des millions de créatures se livrent une guerre sans merci pour se nourrir et survivre. Regarde, la plupart des cadavres de mouettes ont déjà disparu. Rappelle-moi de ne pas aller nager. Même le soleil est un tir de barrage de particules subatomiques, éradiquant tout ce qui n’a pas développé le bon niveau de protection. Bien sûr, toutes les créatures vivantes d’ici ont cette protection, puisque des ancêtres à elles sont mortes par millions pour que quelques survivants puissent développer leur caractéristique mutante.
— Toute paix est une illusion, hein ? Ça pourrait être une citation de moine contemplatif.
— Non, pas une illusion. Mais elle est relative. Comme tout. La paix n’est jamais gratuite. On la paie forcément, à un moment ou à un autre. Par son opposé.
— C’est pour ça que tu restes chez les militaires ?
— C’est mon contrat, qui me fait rester chez les militaires. J’ai encore dix ans à faire. Et si je suis honnête, a-t-elle ajouté en haussant les épaules, je resterai sans doute après. La guerre sera finie, à ce moment-là.
— Il y a toujours d’autres guerres.
— Pas sur Sanction IV. Quand on aura écrasé Kemp, il y aura un durcissement. Actions policières uniquement. Ils ne laisseront plus jamais les choses leur échapper à ce point.
J’ai pensé à l’exultation de Hand face aux protocoles de licence tous azimuts, qui poussaient Mandrake pour le moment, et j’en ai douté.
Tout haut, j’ai commenté :
— On peut autant se faire tuer lors d’une opération de police qu’au cours d’une guerre.
— Je suis déjà morte une fois. Regarde-moi. Ça ne m’a pas tuée…
— D’accord, Sun. (J’ai senti une nouvelle vague de fatigue m’écraser, me retourner l’estomac et me ravager les yeux.) J’abandonne. T’es une grosse coriace. Tu devrais raconter tout ça à Cruickshank. Elle dévorerait chacune de tes paroles.
— Je ne pense pas qu’Yvette Cruickshank ait besoin du moindre encouragement. Elle est assez jeune pour s’amuser.
— Ouais, tu as sans doute raison.
— Et si vous me jugez comme une grosse coriace, ce n’était pas mon intention. Mais je suis soldat de carrière, et il serait idiot d’accumuler de la rancœur contre ce choix. Après tout, c’est moi qui l’ai fait. On ne m’a pas conscrite.
— Ouais, de nos jours, c’est… (Toute dureté a abandonné ma voix quand j’ai vu Schneider se laisser tomber de la trappe avant de la Nagini et courir le long de la plage.) Mais où il va ?
En dessous de nous, sous l’angle de la corniche où nous étions assis, Tanya Wardani venait d’émerger. Elle marchait plus ou moins vers la mer, mais sa démarche était étrange. Son manteau paraissait scintiller d’un éclat bleuté sur un côté. Des taches granuleuses étrangement familières.
Je me suis relevé. J’ai lancé le neurachem.
Sun a posé une main sur mon bras.
— Elle va…
C’était du sable. Des taches de sable turquoise humide de l’intérieur de la caverne. Du sable qui avait dû se coller à elle quand…
Elle s’est effondrée.
C’était une chute sans grâce. Sa jambe gauche a cédé quand elle l’a posée. Elle a pivoté et s’est écroulée sur le membre affaibli. J’étais déjà en mouvement, sautant de la corniche en quelques pas planifiés par le neurachem, chacun ne m’offrant qu’une prise momentanée, abandonnée pour la suivante avant de glisser. J’ai atterri sur le sable à peu près en même temps que Wardani, et j’étais à ses côtés quelques secondes avant Schneider.
— Je l’ai vue tomber quand elle est sortie de la caverne, a-t-il balbutié en me rejoignant.
— Il faut la…
— Je vais bien. (Wardani s’est retournée et a repoussé mon bras. Elle s’est redressée et nous a regardés, Schneider et moi ; j’ai remarqué, choqué, à quel point elle était hagarde.) Vraiment, les gars, je vais bien. Merci.
— Alors que se passe-t-il ? lui ai-je demandé tout bas.
— Ce qui se passe ? (Elle a toussé et craché dans le sable, un phlegme strié de sang.) Je meurs, comme tout le monde dans le voisinage. Voilà ce qui se passe.
— Tu pourrais peut-être lâcher le travail pour aujourd’hui, a proposé Schneider d’un ton hésitant. Tu devrais peut-être te reposer.
Elle lui a jeté un regard interrogateur, puis a monopolisé toute son attention pour se relever.
— Ah, au fait ! (Elle s’est remise sur ses pieds avec un sourire.) J’oubliais. J’ai ouvert la porte. Je l’ai eue.
J’ai vu du sang dans son sourire.